Causerie avec … Aurélien Fèbvre
Aurélien cultive 2 hectares de vignes à Thorey-sous-Charny, dans l’Auxois… “L’Auxois, ce n’est pas considéré comme la Bourgogne, alors que nous sommes en plein centre”, dit-il. Certes, c’est un terrain de jeu oublié depuis longtemps mais qui, de nouveau, attire l’attention des vignerons en recherche de terres fraîches.
Nous avons pris une demi-heure pour causer entre deux rangs avec cet œnologue devenu producteur de vins natures certifiés. Dont certains sont entrés dans la gamme Anima Vinum.
Quelle est ta parcelle préférée ?
Celle qui me plait particulièrement, c’est la parcelle que mon grand-père appelait « Sous la Murée ». C’est une vieille vigne de plus de 60 ans, qu’il a plantée. Donc il y a un côté affectif, mais qualitatif aussi. Mon grand-père me disait : « Si un jour tu l’arraches, tu feras du jardin à cet endroit. » C’est une parcelle où la terre est brune magnifique, brune sur 1.50m de profondeur, suivie d’une couche plus profonde d’argile, de marnes et de gros blocs calcaires – qui confèrent au vin une belle salinité.
Quel vin donne-t-elle ?
J’assemble les raisins de cette parcelle avec d’autres dans ma cuvée « Terre de Thorey Tendre », élevée en amphores. Cette cuvée est fine et délicate, florale avec une belle salinité, une belle verticalité.
As-tu un objet fétiche ?
Mon chapeau de paille ! Il est sur ma tête. J’achète un chapeau à chaque saison et quel que soit son état, je ne le change pas avant le 1er aout, fin de la campagne viticole.
Qu’est-ce que veut dire pour toi « prendre soin de ses vignes » ?
A mon sens, c’est synonyme de “prendre soin du sol”. Nous mettons beaucoup d’énergie dans toute la préparation du compost. J’aime voir mes vignes vigoureuses, productives, avec un beau vert « vignes » et non pas vert-poireau.
Nous ajoutons des Compost Teas (thés de compost) qui sont un levain de micro-organismes présents dans le compost. L’idée étant d’avoir une activité microbiologique la plus importante possible dans le sol pour optimiser la rhizosphère des vignes.
Nous broyons les sarments (qui sont répandus sur le sol afin de le nourrir encore). Et je travaille avec deux enjambeurs des années 1960 très peu puissants (l’un fonctionne avec un moteur de Dauphine et l’autre de Renault 8), ce qui m’oblige à choisir le bon moment pour griffer la terre afin de ne jamais abimer la structure du sol. Je ne la force jamais. En mai-juin, je ralentis les herbes concurrentes, mais tout le reste de l’année, je garde un beau couvert végétal.
J’aime qu’il y ait des insectes, des champignons dans les vignes, qu’elles ne soient pas chétives.
Je fais du Bio productif !
As-tu un auteur fétiche pour les questions techniques ?
Je pratique une méthode mise au point par Jacques Moreau et Robert Cazenove appelée Méthode Géophile. J’applique leur méthode agronomique globale du sol jusqu’à la protection de la plante.
Quel a été le plus gros palier écologique que tu aies passé ?
Je suis passé en bio en 2004, puis en vin nature dès 2014 et j’ai été labellisé Vins Méthode Nature pour le millésime 2020.
A l’origine, j’ai une formation scientifique et un passé de 10 ans en tant qu’œnologue. Dès le départ, j’ai senti qu’il existait des possibilités de faire du vin – justement – sans œnologie. Seulement avec le raisin, en méthode naturelle. Aujourd’hui, quand je déguste des vins non naturels, je détecte tout de suite les différents ajouts œnologiques, les sulfites et j’ai beaucoup de mal à les supporter.
« J’étais persuadé qu’on pouvait faire beaucoup plus simple que ce que j’ai appris »
Même sans intrants chimiques, je fais du vin ! Pas du vinaigre, pas des goûts de souris ! Et ce, en intervenant :avec la maîtrise des températures, une hygiène très importante, etc.
Alors c’est certain, l’aromatique des vins change légèrement – notamment sans les sulfites qui ont la capacité de gommer des arômes légèrement oxydatifs (notes de poire, de pomme). Et je n’ai plus des vins hyper clairs, mais le léger trouble n’embête finalement personne. Ce sont des vins qui peuvent également procurer à l’ouverture une légère sensation de perlant sur la langue. Mais ils ne connaissent aucun défaut majeur. (Et c’est l’œnologue qui parle, ndr).
A quelle période intervient le coup de feu ?
Du 15 mai au 1er juillet : On doit tenir la cadence du palissage, les travaux d’entretien des sols sur un laps de temps très court.
Ta période préférée ?
En avril, au printemps, quand le végétal se réveille. Mes vignes sont situées dans un écosystème de forêts et de prés donc l’activité naturelle explose littéralement (les oiseaux, les fleurs, les insectes, etc…). J’adore ce moment.
La période où tu fais le plus déguster ?
Entre Pâques et la rentrée scolaire de septembre, c’est là que nous avons de nombreuses visites au domaine.
Tu es plus vignes ou vinif ?
Vignes !
Tu suis plutôt ton intuition ou ton œnologue ?
Mon intuition. Je suis d’ailleurs mon propre œnologue. J’ai repris les vignes en 2002, je commence désormais à connaître leur comportement. « Je vois le coup venir », ça ne s’apprend pas à l’école. A force de pratique, et grâce à ma formation scientifique, je sais mettre un nom sur les problèmes auxquels nous allons devoir faire face et sur lesquels nous allons devoir intervenir.
Est-ce que l’augmentation des prix du vin en 2021 t’a permis d’acheter un nouveau 4×4 et un château en Espagne ?
Mes tarifs en 2021 ont augmenté de … 30 centimes, ce qui a bien fait rire mes collègues. Cela correspond à l’augmentation des prix de la bouteille vide, du bouchon et de l’étiquette. Certains cavistes m’ont d’ailleurs remercié !
En 2021, nous avons eu une petite récolte, c’est vrai. Mais la perte, c’est moi qui la supporte. Je suis un bio productif et si le climat le permet dans les belles années, on prend les récoltes entièrement. On ne met rien par terre (pas de vendange en vert) et nous effectuons nos vendanges très tardivement pour obtenir de belles maturités, vers fin septembre – début octobre. Cela compense les années vides. Je fais une moyenne pour dix ans. A l’époque de mon grand-père, on disait que sur une décennie, il manquait une récolte. Aujourd’hui, je dirais qu’il en manque deux par décennie.
Merci Aurélien Fèbvre !
Les Côteaux de l’Auxois, dégustés et expliqués par Pierre Grimaldi, Anima Vinum