Causerie avec … Alexandrine Roy
Sur les terres prestigieuses de la Côte de Nuits, Alexandrine Roy œuvre sans relâche depuis 20 ans sur le domaine familial de 4 hectares basé à Gevrey-Chambertin, le domaine Marc Roy en compagnie de son père. Cette femme, vigneronne de la première heure, a joué des coudes pour imposer son style et sa manière de travailler. Elle est aujourd’hui largement reconnue pour ses vins fins et profonds. Nous avons discuté avec Alexandrine entre deux rangs.
Quelle est ta parcelle préférée ?
Je les aimes toutes, comme une maman aimerait ses enfants ! Si je devais faire du favoritisme, je dirais les « Clos Prieur ». Contrairement à mon caractère vu comme plutôt « solaire », j’apprécie cette terre « froide » car elle donne des vins très identitaires et constants.
Pourquoi ?
On est sur des sols profonds et relativement complexe. Un joli millefeuille de graviers calcaires, argiles fines, limons, et un peu de fer. Cela donne des vins terriblement séduisants, sans sacrifier au côté cérébral.
Quel vin donne-t-elle ?
Les vins sont intenses, puissants, très complexes avec une race folle. On est envouté au premier nez par des arômes de fruits de ronce, fruits noirs, et en bouche c’est véritable une explosion. On retrouve toujours un côté réglissé et du noyau de cerise. C’est frais, c’est classe, avec des mûrs tannins très soyeux et une longueur… (de dingue). Rappelons-le, ce n’est qu’une « simple » Village, mais pour moi on peut aisément le confondre avec un 1er cru.
As-tu un objet fétiche en tant que vigneronne ? Lequel ?
Mes mains … est-ce que ça compte ?? Car c’est de cela dont je me sers le plus et pour une gauchère je suis devenue plutôt habile – ce qui n’était pas le cas à mes débuts ! Donc je dirais mes mains et mon cerveau parce que j’essaie constamment de transformer l’essai. Une paire de mains sans neurones n’est pas très utile. Il y a une grande part de réflexion dans chaque geste.
Cela parait simple vu de l’extérieur…Et à vrai dire à présent ça l’est car après 20 ans (déjà) dans le métier, pour moi c’est devenu intuitif. Cela ne signifie pas que je me repose sur mes lauriers. Je suis sans cesse en train de me challenger, me remettre en question et repousser mes limites pour trouver le détail qui va améliorer la qualité de notre travail et, par ricochet, de nos vins.
Qu’est-ce que veut dire pour toi « prendre soin de ses vignes » ?
Mes vignes, je les aime comme mes enfants. Je ne peux pas me passer d’elles. C’est viscéral. Parfois je me dis que ça frise l’obsession et que je suis un peu folle – c’est grave Docteur ??
Mais je suis comme ça. Lorsque je fais quelque chose, je le fais à fond. Je ne sais pas faire autrement.
Donc, prendre soin de mes vignes, c’est d’abord être auprès d’elles, les travailler, être à l’écoute de leurs besoins et les comprendre. Cela à l’air de fonctionner car elles me le rendent bien !
Un auteur fétiche ? (en termes de techniques de vignes) ?
Je n’ai pas d’auteur fétiche. En revanche, j’ai eu le meilleur mentor qui soit : mon papa. Certes les méthodes et les techniques ont évolué, mais le fond est le même. A l’origine (et à la fin d’ailleurs) nous sommes des paysans. Dans le meilleur sens du terme. Aucun livre ne peut se substituer à un papa qui a près de 60 ans d’expérience. Je lui voue énormément de respect. Sans lui, on ne serait pas là où on en est aujourd’hui #fièredemonpapa
Pourquoi ne cherches-tu pas à obtenir de label pour tes productions ?
Je suis autodidacte et je n’aime pas les étiquettes. Je pioche dans chaque courant de pensée ce qui me plaît le plus et je l’adapte à mes besoins et mes attentes. L’idée étant bien sûr de préserver le terroir et l’intégrité des sols. Au niveau de la vigne, nous sommes dans l’observation constante. On s’adapte au millésime, à la météo. On y va au feeling. L’idée c’est d’avoir la plante la plus « belle » (en termes de santé) et la plus saine possible. On fait attention aux flux de sève, on évasive soigneusement, on effeuille au moment opportun. Contrairement à certains de mes collègues, j’aime toujours autant que les vignes soient au carré. Il faut aussi que les sols soient propres (labour, interceps, pioche, désherbage à la main). Cela peut paraître vintage ou vieille école, mais moi ça me plaît ainsi. J’aime ce côté carré et rigoureux qui correspond à ma personnalité (ceux qui me connaissent bien peuvent confirmer 😉
C’est quoi ta période la plus speed ?
La période la plus speed, c’est pendant le gros boum de la campagne, de mai à juillet. Ca pulse. Il faut être partout en même temps et on est tout le temps sur le pont tout le temps.
Il faut travailler les sols, évasiver, palisser, écimer, traiter, et souvent ces travaux se chevauchent. Cet été, c’était debout à 4H30 tous les matins…C’est pour cela d’ailleurs que je ne reçois pas à cette époque de l’année. J’ai besoin d’être en full dans la vigne. Je pars du principe qu’il y a un temps pour tout, et ce temps-là, ma place c’est dans les vignes.
Ta période préférée ?
Ma période préférée, c’est lorsque les vendanges arrivent car à cette période, on met en bouteille le millésime précédent, ce qui pour moi constitue un aboutissement ; Et on peut se replonger immédiatement à corps perdu dans le nouveau. C’est très dynamisant et excitant à la fois d’écrire une « nouvelle » page du roman.
La période où tu fais le plus déguster ?
La période où je fais le plus déguster, c’est entre novembre et février. Les clients le savent et la plupart d’entre eux calent leur rendez-vous/commandes à cette période de l’année.
La région viticole (hors la tienne) que tu préfères boire en été ?
La Corse. Je raffole de leurs vins, que ce soit en blanc, rouge ou rosé. Mention spéciale pour le Domaine Vecchio, Zuria, Pieretti et bien sûr les Vaccelli.
Tu es plutôt vignes ou vinif ? (ou les deux )
Les deux. L’un ne va pas s’en l’autre. La vinification n’est que le prolongement du travail à la vigne. Sauf que les vignes nous occupent toute l’année. Les vinifications, elles, durent un mois et nous demandent énormément de concentration. La journée je suis avec mes coupeurs, le soir je suis en cuverie. Cela fait des grosses amplitudes horaires et c’est parfois dur de réfléchir après avoir donné physiquement toute la journée.
Mentalement c’est difficile, mais j’adore cette émulsion positive à cette époque de l’année. C’est un peu comme la préparation à l’accouchement (désolée pour les Messieurs qui ne peuvent pas comprendre). En plus je suis bien entourée. Mon papa que j’adore est toujours disponible si j’ai besoin de lui, et Maxime -mon conjoint- me prête main forte. J’ai aussi de l’aide pour le nettoyage du matériel car la propreté c’est primordial ! Enfin après une journée de labeur, notre cuisinière attitrée nous fait tous les soirs des supers petits plats que j’accompagne de mes bouteilles coup de cœur. On déguste tout à l’aveugle et ça donne lieu à de supers échanges. On est dans l’effort à cette période c’est indéniable, mais on sait aussi se faire plaisir !
Tu fais plus confiance à ton intuition ou à ton œnologue ?
Mon intuition. Elle est ensuite confirmée par les contrôles que je fais en laboratoire. Je ne veux pas laisser de détail au hasard. La microbiologie notamment, c’est ultra important pour moi. J’aime bien savoir où j’en suis à chaque instant. Dans le vin, tout peut basculer très vite donc il faut rester attentif et vigilant H24. Effectivement, celui qui ne cherche rien ne trouve rien… Je préfère chercher et être certaine que tout va bien, cela m’apporte la sérénité et la tranquillité d’esprit dont j’ai besoin.
Est-ce que l’augmentation des prix du vin en 2021 t’a permis d’acheter un nouveau 4×4 et un château en Espagne ?
Non je n’ai pas réussi à avoir le nouveau Range Rover – il est en rupture de stock 😛
Quant au château, non, pas plus en Espagne qu’ailleurs… #tropdéçue
Non … j’ai tenté de limiter la casse au niveau des augmentations mais ce n’est pas simple. Il y a une réalité économique que je ne peux pas ignorer. Je n’ai que des Villages, donc pas de possibilité de répercuter les hausses sur les 1ers ou grands crus. Et je ne fais pas non plus de négoce. Il est important non pas de « justifier » mais d’expliquer ce qui est à l’origine des augmentations.
Je dois le dire, j’ai des clients fantastiques, tout le monde m’a suivi en m’assurant que c’était parfaitement normal vu le travail fourni, et honnêtement, et cela me fait chaud au cœur. J’envoie une pensée à mes clients qui me donnent l’envie et la motivation même dans les pires moments. C’est important de se sentir soutenu.
Quel conseil fondamental donnerais-tu aujourd’hui à une jeune vigneronne qui décide de lancer son propre domaine viticole ?
Ne pas se laisser faire, et ne pas se décourager. C’est évidemment de plus en plus dur de se lancer (surtout s’il n’y a pas de vignes en propriété au démarrage) mais ce n’est pas impossible non plus. Il faut aussi se fier à son instinct. Il se trompe rarement.
Quels sont les défis d’un chef de domaine aujourd’hui en Côte de Nuits ?
La climatologie est un défi qui n’est certes pas spécifique à la Côte de Nuits mais c’en est un tout de même un. Il faut s’adapter qu’on le veuille ou non. Le dépérissement observé dans les vignes m’inquiète également. C’est une problématique qu’on ne peut pas/plus ignorer.
L’autre défi est de maintenir le niveau aussi haut que possible tout en arrivant à concilier la qualité des vins, l’aspect économique et le niveau de récolte. La pénurie de vin a fortement impacté les tarifications. Donc on est content avec les 2022 et on devrait être pas mal avec les 2023. Cela devrait détendre un peu le marché.
Et nous aussi par la même occasion 😉
On the prestigious lands of the Côte de Nuits, Alexandrine Roy has worked tirelessly for 20 years on the 4-hectare family estate based in Gevrey-Chambertin, the Marc Roy estate in the company of her father. This woman, a winegrower from the start, pushed her way to impose her style and her way of working. Today it is widely recognized for its fine and deep wines. We chatted with Alexandrine between rows.
What is your favorite plot?
I love all of them, as a mother would love her children! If I had to show favouritism, I would say the “Clos Prieur”. Contrary to my character seen as rather “solar”, I appreciate this “cold” land because it gives very identity and constant wines.
For what ?
Those are on deep and relatively complex soils. A pretty millefeuille of limestone gravel, fine clay, silt, and a little iron. This gives terribly seductive wines, without sacrificing the cerebral side.
What wine does she give?
The wines are intense, powerful, very complex with a crazy breed. We are bewitched on the first nose by aromas of bramble fruits, black fruits, and in the mouth it is a real explosion. We always find a side of liquorice and cherry stone. It’s fresh, it’s classy, with very silky ripe tannins and a length… (crazy). Remember, this is only a “simple” Village, but for me it can easily be confused with a 1er cru.
Do you have a favorite object as a winegrower ? Which ?
My hands…does that count?? Because that’s what I use the most and for a left-hander I’ve become quite skilled – which was not the case when I started! So I would say my hands and my brain because I’m constantly trying to turn the try. A pair of hands without neurons is not very useful. There is a great deal of thought in every gesture.
It seems simple from the outside… And to tell the truth now it is because after 20 years (already) in the business, it has become intuitive. That doesn’t mean I’m resting on my laurels. I am constantly challenging myself, questioning myself and pushing my limits to find the detail that will improve the quality of our work and, by extension, of our wines.
What does “taking care of your vines” mean to you?
My vines, I love them like my children. I can’t get away from them. It’s visceral. Sometimes I think it’s bordering on obsessive and I’m a little crazy – is it serious Doctor??
But I am like that. When I do something, I do it thoroughly. I don’t know how to do otherwise.
So, taking care of my vines means first of all being with them, working them, listening to their needs and understanding them. It seems to work because they make it good for me!
A favorite author? (in terms of vine techniques)?
I don’t have a favorite author. On the other hand, I had the best mentor there is: my dad. Certainly the methods and techniques have evolved, but the substance is the same. Originally (and ultimately) we are peasants. In the best sense of the word. No book can substitute for a dad who has nearly 60 years of experience. I give him a lot of respect. Without him, we wouldn’t be where we are today #fièredemonpapa
Why don’t you seek to obtain a label for your productions?
I am self-taught and I don’t like labels. I draw from each current of thought what I like the most and I adapt it to my needs and my expectations. The idea is of course to preserve the terroir and the integrity of the soil. At the level of the vine, we are in constant observation. We adapt to the vintage, to the weather. We go there by feeling. The idea is to have the most “beautiful” (in terms of health) and healthiest plant possible. We pay attention to the flow of sap, we evade carefully, we thin out leaves at the right time. Unlike some of my colleagues, I still like square vines. The soil must also be clean (ploughing, interceps, pickaxe, weeding by hand). It may seem vintage or old school, but I like it that way. I like this square and rigorous side which corresponds to my personality (those who know me well can confirm 😉
What is your fastest period ?
The most speedy period is during the big boom of the campaign, from May to July. It pulses. You have to be everywhere at the same time and you’re always on the bridge all the time.
You have to work the soil, evade, trellis, top, treat, and often these jobs overlap. This summer, it was up at 4:30 a.m. every morning… That’s why I don’t receive people at this time of year. I need to be in full in the vineyard. I start from the principle that there is a time for everything, and that time, my place is in the vineyards.;
Your favorite period?
My favorite period is when the harvest arrives because at this time, we bottle the previous vintage, which for me is a culmination; And we can immediately plunge headlong into the new. It is very energizing and exciting at the same time to write a “new” page of the novel.
The period when you do the most tasting?
The period when I do the most tasting is between November and February. Customers know this and most of them schedule their appointments/orders at this time of year.
Which wine region (outside your own) do you prefer to drink in the summer?
Corsica. I love their wines, whether white, red or rosé. Special mention for Domaine Vecchio, Zuria, Pieretti and of course the Vaccelli.
Are you more of a vine or a vinif? (or both )
Both. One does not go with the other. Vinification is only the extension of work in the vineyard. Except that the vines keep us busy all year round. The vinifications last a month and require a lot of concentration. During the day I am with my cutters, in the evening I am in the winery. It makes for big time amplitudes and it’s sometimes hard to think after having given physically all day.
Mentally it’s difficult, but I love this positive emulsion at this time of year. It’s a bit like preparing for childbirth (sorry for the gentlemen who can’t understand). In addition, I am well surrounded. My dad whom I adore is always available if I need him, and Maxime – my spouse – lends me a hand. I also have help with cleaning the equipment because cleanliness is essential! Finally, after a day of hard work, our regular cook prepares great meals for us every evening, which I accompany with my favorite bottles. We taste everything blind and it gives rise to great exchanges. We are in the effort at this time it is undeniable, but we also know how to have fun!
Do you trust your intuition or your oenologist more?
My intuition. It is then confirmed by the controls that I do in the laboratory. I don’t want to leave any detail to chance. Microbiology in particular is very important to me. I like to know where I am at all times. In wine, everything can change very quickly so you have to remain attentive and vigilant 24 hours a day. Indeed, those who seek nothing find nothing… I prefer to seek and be sure that everything is fine, it gives me the serenity and peace of mind I need.
Did the increase in wine prices in 2021 allow you to buy a new 4×4 and a castle in Spain?
No I didn’t manage to get the new Range Rover – it’s out of stock 😛
As for the castle, no, no more in Spain than elsewhere… #too disappointed
No … I tried to limit the breakage at the level of the increases but it is not easy. There is an economic reality that I cannot ignore. I only have Villages, so there is no possibility of passing on the increases to the Premiers or Grands Crus. And I don’t trade either. It is important not to “justify” but to explain what is causing the increases.
I have to say, I have fantastic clients, everyone followed me making sure that it was perfectly normal given the work provided, and honestly, and that warms my heart. I send a thought to my customers who give me the desire and the motivation even in the worst moments. It’s important to feel supported.
What fundamental advice would you give today to a young winegrower who decides to launch her own wine estate?
Don’t give up, and don’t get discouraged. It is obviously harder and harder to get started (especially if there are no vineyards owned at the start) but it is not impossible either. You also have to trust your instincts. He is rarely wrong.
What are the challenges of a domain manager today in Côte de Nuits?
Climatology is a challenge that is certainly not specific to the Côte de Nuits, but it is one all the same. You have to adapt whether you like it or not. The decline observed in the vines also worries me. This is a problem that we can no longer ignore.
The other challenge is to maintain the level as high as possible while managing to reconcile the quality of the wines, the economic aspect and the level of harvest. The shortage of wine has had a strong impact on pricing. So we’re happy with the 2022s and we should be fine with the 2023s. That should relax the market a bit.
And us too at the same time 😉