Causerie avec … Ghislain Kohut
Ghislain Kohut est vigneron installé à Couchey en Côte-de-Nuits, il cultive une dizaine d’hectares depuis sa parcelle d’Aligoté “La Doyenne du Clos” , ses nombreux Marsannay, jusqu’à ses Vosne-Romanée et Grands-Echezeaux.
Être paysan « c’est être le premier à se rendre compte de I’arrivée des hirondelles, c’est celui qui se souvient de Ia météo plusieurs années après, c’est être garant de l’avenir et de la mémoire car c’est celui qui voit, qui sent et qui se rend compte. » Ghislain Kohut
Quelle est ta parcelle préférée ?
« La Pachot », une vigne de Marsannay rouge derrière chez moi. J’ai démarré avec elle en 1999. Elle est plantée en sélection massale, je l’ai toujours conduite en équestre, en agriculture bio non certifiée et en accord avec les règles de la biodynamie. A l’époque, ce n’était pas courant du tout ce type de culture, aujourd’hui, je passe un peu moins pour un Indien.
« Les Grasses Têtes », elle, c’est ma vigne d’essais, la vigne mère de mes greffons. C’est ici que j’ai commencé à faire mes propres sélections massales. Ces deux vignes n’ont connu que ma manière de travailler et c’est avec elle que je lance mes paris sur l’avenir.
Mes Aligotés “Doyenne du Clos” ! Une parcelle plantée pendant la crise phylloxérique en Rupestris.* Mais je dois être le seul à en avoir, c’est très rare aujourd’hui.
As-tu un objet fétiche en tant que vigneron ? Lequel ?
Le Jonc et le Psou (la pioche) !
Le jonc pour attacher. Durant les relevages, j’attache toutes mes vignes au jonc. J’aime le caractère ancestral, historique, la notion de transmission. Le nœud d’attache m’a été appris par mon père qui le tenait de son père et ainsi de suite. Le jonc ne coûte rien, il n’y a aucune technicité de production, et s’il m’en manque, je prends une paille de seigle, une écorce de saule, ce qui me tombe sous la main et je continue mon boulot sans problème.
J’enseigne le nœud à tous les stagiaires et les saisonniers qui passent chez moi, c’est sympa !
Le Psou pour rêver. Quand tu pioches, cela paraît laborieux, mais tu as le nez au ras du sol, tu sens ce qui se passe, la texture, ce qui fourmille, tu as toute la sensibilité du sol de manière directe. C’est comme un moment de longue affection entre la vigne et soi-même. C’est anesthésiant, envoûtant. Tu as le nez dans le pied de vigne, et là, tu vois tout ce que tu dois voir. Et cela, tu ne l’auras pas en tracteur.
Qu’est-ce que veut dire pour toi « prendre soin de ses vignes » ?
C’est une quête sans fin. La recherche du Graal en quelques sortes : trouver le subtil équilibre entre une terre fertile qui tend vers la forêt et … des rendements en fruits qui nous permettent d’en vivre.
Les deux mots-clés pour moi sont : Observer et apprivoiser plutôt que de se battre.
Je prends l’exemple du Trèfle d’Arabie. J’ai essayé de le combattre jusqu’à ce que j’ai trouvé la parade pour en faire un allier qui offre un couvert végétal rafraichissant, qui ne pompe pas l’énergie de mes vignes et qui restructure en douceur le sol.
Parfois, en voulant faire trop bien, on part dans un excès et trente ans plus tard, on change de paradigme pour retomber dans un autre excès et ainsi de suite. Je prends l’exemple du labour : pour essayer de faire vivre ton sol, tu laboures. Mais en faisant cela, tu minéralises, en aérant trop, tu détruis ta faune et ta flore (mycorhizes, protozoaires…) et tu finis par limiter le développement de la vie alors que tu cherchais à exprimer le terroir.
Le Graal, c’est l’équilibre. Trouver le caractère variétal qui nous satisfait au mieux dans notre sélection, dans un écosystème où l’on ne sera pas obligé d’aller corriger des maladies, des carences. Une plante adaptée dans sa rusticité.
Un auteur fétiche en termes de techniques de vignes ?
Harald Kabisch, il a écrit un fascicule de 30 pages qui fait la synthèse de la culture biodynamique appliquée. Il m’a été conseillé par mon ancien maître de stage Didier Montchovet (vigneron à Nantoux) à l’époque où j’essayais de comprendre tout cela.
L’Abbé Tainturier, le plus vieux traité sur les vignes bourguignonnes publié. Je le relis régulièrement et trouve mon inspiration et certaines réponses ici. Plutôt que dans les nouvelles techniques, je préfère me replonger dans le passé. Les questionnements reviennent de façon cyclique.
Pourquoi es-tu passé en label HVE ?
J’ai toujours été en bio non-labellisé. Mais je n’accroche pas avec les labels. Quels qu’ils soient. Il leur manque pas mal d’exigence. Le bio étrangement, n’exige pas la biodiversité. La biodynamie n’est finalement qu’un bio calée sur le calendrier lunaire, et HVE manque aussi d’ambition, mais ma foi, c’est une façon de reconnaître nos efforts en matière de bonnes pratiques…
C’est quoi ta période la plus speed ?
Toutes ! C’est bien le problème.
La région viticole (hors la tienne) que tu préfères boire en été ?
L’Allemagne et ses Riesling. Également les vins nord-italiens : Barrolo, les Langhes (Piémont).
Tu es plutôt vignes ou vinif ? (ou les deux )
Les vigne, beaucoup ! Mais les vinifs, quand j’ai le nez dedans, je ne m’en passe plus !
Tu fais plus confiance à ton intuition ou à ton œnologue ?
Je ne suis jamais sûr de moi, je travaille avec mon intuition et à la fois, je me sens très cartésien. Ce que j’aime, c’est aime avoir d’autres avis et y réfléchir.
Est-ce que l’augmentation des prix du vin en 2021 t’a permis d’acheter un nouveau 4×4 et un château en Espagne ?
Un nouveau 4×4 ? Eh bien non. Trop cher à mes yeux. Et quitte à faire, je préfèrerais un château dans les Langhes en Italie…
En revanche, j’espère pouvoir me payer un « pulvé** » digne de ce nom, qui me permettrais de dormir plus tranquillement les nuits (par peur de l’oïdium et du mildiou, ndr) et d’éviter de brûler un cierge chaque année avant la fermeture de la grappe.
Je pense qu’il est important de ne pas « sous-vendre » le vin, tout en restant raisonnable. J’ai besoin de pouvoir continuer ma démarche de travail, d’accompagner ma démarche équestre. Je tends vers des quantités de cuivre de plus en plus faibles (2kg l’année dernière), j’utilise des produits de soins de plus en plus naturels et sans résidus, je vais bientôt entamer une démarche de réduction du soufre.
Voilà, tout ça pour être content le matin quand tu te rases.
Merci Ghislain Kohut !
*C’est un porte-greffe endémique sur lequel tous les essais de greffages ont été menés avant les hybrides. On pense qu’il a été écarté car trop tardif, mais aujourd’hui, c’est un atout ! Il aime les calcaires actifs, il est vigoureux, et il pourrait éviter les problèmes de dépérissement de la vigne.
En effet, c’est une discussion que nous avons eu avec les copains vignerons : et si une partie de la dégénérescence venait des porte-greffes ? En taillant dans les Aligotés (de très vieilles vignes), nous avons remarqué qu’ils ne dégénéraient pas. Sa racine pousse en « carotte », ce qui est très intéressant dans les problèmes d’implantation.
Selon les derniers essais, le Conservatoire des cépages anciens du Mont Battois et l’ATVB recommandent ce porte-greffe en complantation dans les repiquages…
** pulvérisateur